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Plus de 3 milliards de personnes "très vulnérables" au changement climatique

Canicules extrêmes, sécheresses, inondations, montée du niveau des océans… entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes vivent d’ores et déjà dans des environnements « très vulnérables » au changement climatique, alertent les experts dans un nouveau rapport d’évaluation du GIEC, publié le 28 février. Ceci est « un avertissement très sérieux sur les conséquences de l’inaction » a déclaré Hoesung Lee, le président du GIEC, le monde n’étant pas « préparé » aux risques à venir.
Publié le
, mis à jour le
1 mai 2024
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Sixième rapport d'évaluation du GIEC : Impacts, Vulnérabilités et Adaptation.
© www.environmentalgraphiti.org 2022. Source : GIEC / Illustration : Alisa Singer

Le changement climatique est « une menace pour le bien-être de l’humanité et la santé de la planète »

Dans le premier volet de son 6ème rapport d’évaluation sur le changement climatique, publié en août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) estimait que la hausse des températures atteindrait le seuil des 1,5°C – objectif de l’Accord de Paris – dès 2030, soit dix ans plus tôt qu’escompté.

Fruit d’un travail de 270 auteurs représentant 67 pays, cette seconde partie du rapport « Changement climatique 2022 : Impact, Vulnérabilité et Adaptation »[1] se concentre sur les impacts du réchauffement climatique sur la nature et l’humanité, ainsi que les différentes manières de s’y préparer pour limiter les risques. Il décline ainsi les conséquences actuelles et futures à différents niveaux de réchauffement, dans toutes les régions du monde et dans tous les domaines : sécurité alimentaire, santé, pénurie d’eau, extinction d’espèces, déplacements de populations…

Alors que le réchauffement climatique s’accélère – la température a déjà augmenté de 1,1°C depuis l’ère industrielle (1850-1900) – les conséquences du changement climatique s’annoncent « considérables » et souvent « irréversibles », affirment les auteurs.

Dans le « résumé aux décideurs », ils montrent notamment que le changement climatique est en train de détruire les écosystèmes naturels, qui protègent eux-mêmes les conditions de vie humaine sur terre, en fournissant des services essentiels : approvisionnement alimentaire et en eau potable, rôle dans la régulation du climat, etc.

Ce document insiste aussi sur le lien entre lutte contre le réchauffement climatique et combat pour « l’équité et la justice » : les populations les plus pauvres sont en effet « plus durement » touchées par les conséquences de la crise, et le réchauffement climatique accroît les inégalités. 

L’enjeu est de limiter, tant qu’il est encore temps, le réchauffement climatique, le GIEC ayant déjà démontré que chaque demi degré pourra faire la différence : selon les scénarios, les risques encourus par les populations seront multipliés par deux, ou par quatre d’ici la fin du siècle.

« Les preuves scientifiques cumulées sont sans équivoque : le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire. Tout retard supplémentaire dans l’action mondiale concertée et anticipée en matière d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique » sera une occasion manquée de « garantir un avenir vivable et durable pour tous », a confirmé Hans-Otto Pörtner, coprésident du groupe 2 du GIEC.

Ce rapport est « un avertissement très sérieux sur les conséquences de l’inaction », ajoute  Hoesung Lee, le président du GIEC, dans le communiqué. Il est urgent « de prendre des mesures immédiates et plus ambitieuses » pour faire face à ces risques, « les demi-mesures ne sont plus possibles ».

Les points clés du 6ème rapport du GIEC

Les impacts du changement climatique sont « déjà irréversibles » et généralisés

Parmi les principales conséquences du changement climatique, le GIEC mentionne notamment :

- Le réchauffement de 1,1°C en moyenne a déjà entraîné le déclin de certaines espèces, l’augmentation de la fréquence et de la propagation des maladies, des canicules et des sécheresses mortelles, des pertes agricoles... La santé des populations, physique et mentale, est également touchée.

- La vulnérabilité des écosystèmes et des humains au changement climatique varie selon les régions du monde, et au sein même de ces régions, pour des raisons socio-économiques, historiques ou encore de gouvernance. Mais, déjà 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des environnements « très vulnérables » au changement climatique, soit près de la moitié de l’humanité.

- L’augmentation des extrêmes climatiques et météorologiques a entraîné « des effets irréversibles » sur les sociétés humaines et la nature, « les systèmes naturels et humains étant poussés au-delà de leur capacité d’adaptation », préviennent les scientifiques. Certains écosystèmes comme les coraux, ont déjà passé leur point de non-retour.

- Les populations et les écosystèmes les moins aptes à faire face aux risques « sont les plus durement touchés ».

- Des progrès en termes d’adaptation sont observés dans toutes les régions (au moins 170 pays), et tous les domaines. Mais l’adaptation reste largement insuffisante. « Au rythme actuel de planification et de mise en place de l'adaptation, l'écart entre les besoins et ce qui est fait va continuer à grandir », cite l’AFP. Cet écart s’explique notamment par « le manque de financement, d'engagement politique, d'informations fiables et de sentiment d'urgence ». 

Pourtant les impacts sur la nature et sur l’Homme vont encore s’aggraver, prévient le Giec en exposant les risques potentiels en fonction de l’intensité du réchauffement, à savoir notamment :  

- De multiples aléas climatiques seront « inéluctables » au cours des deux prochaines décennies avec un réchauffement de 1,5°C. Si le réchauffement climatique dépasse même temporairement ce seuil, cela « entraînera des conséquences graves supplémentaires, dont certaines seront irréversibles », précise le communiqué.

- Environ un milliard de personnes pourrait vivre d’ici à 2050 dans des zones côtières menacées par la montée des eaux et les submersions marines, alors que 60% de la population mondiale habite déjà à moins de 100 km du littoral.

- Entre 3 et 14% des espèces terrestres (animales et végétales) seront menacées d’extinction même en limitant le réchauffement à 1,5°C, prédisent les experts, appelant à restaurer les écosystèmes dégradés et à protéger « 30 à 50% » des milieux naturels. Sinon, dans le cas d'un réchauffement de 2 °C d'ici 2100, jusqu'à 18 % des espèces terrestres auront un risque élevé d'extinction. 

- La part de la population exposée aux vagues de chaleur mortelles pourrait atteindre 76% d’ici 2100, contre 30% actuellement.

- De multiples extrêmes climatiques surviendront « simultanément » (canicules, sécheresses, incendies, etc.), avec « des répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer ». Des millions de personnes seront exposées ainsi « à une insécurité alimentaire et hydrique aiguë », notamment en Afrique, Asie, Amérique centrale et Amérique du Sud, dans les petites îles et en Arctique.

- Si la terre se réchauffe de 1,6°C d'ici 2100, 8 % des terres actuellement cultivables deviendront incultivables d’ici la fin du siècle. Entre 8 et 80 millions de personnes pourraient souffrir de la faim d'ici 2050, en raison du déclin potentiel des productions agricoles et de la pêche.

- Entre 800 millions et 3 milliards de personnes dans le monde pourraient subir par ailleurs des pénuries d’eau chroniques en raison des sècheresses dans le cas d’un réchauffement à +2°C. Jusqu’à 4 milliards de personnes pourraient être touchées à +4°C.

- Des migrations climatiques importantes au sein d’un même pays, ou dans les pays voisins. Par exemple, « avec un réchauffement climatique de 1,7°C d'ici 2050, 17 à 40 millions de personnes pourraient migrer à l'intérieur de l'Afrique subsaharienne, ce chiffre passant à 56-86 millions pour 2,5°C ».

La carte ci-dessous exprime les différentes vulnérabilités dans les territoires, sans montrer les différences locales.

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Source : Figure TS.7 du 6ème rapport du GIEC, groupe 2.

Les villes sont de plus en plus vulnérables, mais « indispensables à la solution »

Les chercheurs ont étudié également les risques auxquels sont exposées les villes, où vit plus de la moitié de la population mondiale, et où, selon les projections, 70 % de la population mondiale vivra d’ici 2050.

La santé et la vie des habitants, les biens immobiliers et les infrastructures essentielles tels que les systèmes d’énergie et de transports, « sont de plus en plus touchés par les aléas » climatiques.

« Ensemble, l’urbanisation croissante et le changement climatique créent des risques complexes, en particulier pour les villes qui connaissent déjà une croissance urbaine mal planifiée, des niveaux élevés de pauvreté et de chômage, et un manque de services de base », explique Debra Roberts, la co-présidente du groupe 2 du GIEC, qui a écrit ce rapport.

Si les villes sont de plus en plus vulnérables, elles « offrent aussi des opportunités d’action pour le climat », avance-t-elle dans le communiqué : « des bâtiments écologiques, un approvisionnement fiable en eau propre et énergie renouvelable, des modes de transport durables reliant les zones urbaines et rurales peuvent tous créer une société plus inclusive et équitable ».

Le monde est « sous-préparé » pour faire face aux changements climatiques à venir

Selon le GIEC, l’ampleur des risques associés au changement climatique va fortement dépendre de notre capacité à diminuer drastiquement et rapidement nos émissions de CO2. Prendre des mesures permettant de limiter le réchauffement climatique à près de 1,5 °C réduirait ainsi considérablement les pertes et dommages par rapport à des niveaux de réchauffement plus élevés. En Europe, par exemple, le nombre de personnes exposées au stress thermique sera multiplié par deux à trois avec un réchauffement climatique de +3 °C par rapport à un niveau de réchauffement de +1,5 °C (voir la carte ci-dessous).

Même une diminution forte de nos émissions de gaz à effet de serre ne permettra pas d’éliminer tout risque climatique, prévient le GIEC. Le rapport insiste ainsi sur l’importance de prendre des mesures d’adaptation - déplacer nos habitations, adapter nos infrastructures, etc. - pour essayer de limiter les dégâts. 

Limiter aussi les émissions

L’atténuation, soit la diminution des émissions de gaz à effet de serre liés à nos modes de vie (transports, logement, etc.) et responsables du réchauffement, est indispensable pour réussir à limiter les risques. Ce rapport indique clairement qu'assurer « un développement résilient au changement climatique est déjà un défi au niveau actuel de réchauffement », écrit le communiqué. « Il sera plus limité s’il excède 1,5°C. Dans certaines régions, ce sera impossible s'il dépasse 2°C. »

Eviter la « mal-adaptation » 

Si l’adaptation n’est plus une option, le GIEC met également en garde contre les « mal-adaptations », de mauvaises mesures d’adaptation, qui réduiraient les risques climatiques immédiats et à court terme, mais qui peuvent être contre-productives à long terme.

C’est par exemple le cas de la construction de digues, comme l’explique Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM et l’un des co-auteurs du rapport : « Sur le littoral, les digues protègent les personnes et les biens à court terme, mais elles empêchent les transferts de sédiments et dégradent les écosystèmes naturels », créant ainsi un faux sentiment de sécurité pour les populations qui y résident.

Préserver et consolider la nature pour assurer « un avenir viable »

Le GIEC présente un ensemble de solutions pour un « développement climatique résilient ». Il rappelle notamment que « les risques climatiques pour les personnes peuvent être réduits en renforçant la nature », par exemple en végétalisant les villes, en restaurant le cours naturel des rivières, etc.

Au-delà de ces mesures d’adaptation, il s’agit aussi de transformer nos modes de vies, ajoute le Giec. Cela passe par la production d’énergies renouvelables, une alimentation saine et locale via une agriculture durable, mais aussi le développement des économies circulaires, entre autres.

Un « défi mondial » qui exige des « solutions locales »

Alors que le niveau de réchauffement actuel représente déjà un défi en matière d’adaptation pour limiter les risques, dans certaines régions, il sera impossible d’assurer « un développement résilient » si le réchauffement dépasse 2 °C.

Pour relever ces différents défis, le Giec appelle « tout le monde » - gouvernements, secteur privé et citoyens – à œuvrer « en priorité à la réduction des risques, de même qu’à l’équité et à la justice, dans le processus décisionnel et l’investissement ».

Pour en savoir plus :

Le troisième et dernier volet est attendu en avril et portera sur les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

[1] Contribution du groupe de travail II au sixième rapport d’évaluation du GIEC.

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