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Réglementation - Juridique

L’architecte élu local et l’exercice de la profession sur le territoire communal

Ce second volet de notre étude consacrée à l’exercice de la profession des architectes élus d’une collectivité territoriale traite les questions relatives aux autorisations d’urbanisme déposées sur le territoire communal.
Publié le
, mis à jour le
1 mai 2024
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Hôtel des Communes du Pays des Herbiers - Atelier du Pont, Michel Joyau Architecte
(© photo : Takuji Shimmura / source : Archicontemporaine.org)

A quelques jours de la date limite de dépôt des candidatures pour les élections municipales, le second volet de notre étude consacrée à l’exercice de la profession des architectes élus d’une collectivité territoriale traite les questions relatives aux autorisations d’urbanisme déposées sur le territoire communal.

Si l’architecte est autorisé à cumuler son activité professionnelle avec un mandat d’élu municipal, ce cumul aussi bénéfique soit-il pour la collectivité, a des conséquences non négligeables sur l’activité professionnelle de l’architecte. Outre, le volet pénal (prise illégale d’intérêts ou délit de favoritisme), en tant que membre d'une profession réglementée, l’architecte est tenu au respect du code de déontologie. Deux articles de ce code limitent l’exercice de la profession sur le territoire dans lequel l’architecte a un mandat de conseiller municipal ou de maire.

  • L’interdiction des situations de « juge et partie »

L’architecte élu d’une collectivité peut être en charge de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire ou de l’environnement. Sa mission d’élu local peut aller jusqu’à l’analyse, voire l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme déposées sur le territoire communal. Comment appréhender une situation dans laquelle l’architecte instruirait une demande d’urbanisme qu’il aurait lui-même élaboré pour le compte d’un client ?

L’instruction d’une demande d’urbanisme par un élu qui serait l’architecte du projet pose un réel problème déontologique. En effet, l’article 9 du code de déontologie interdit à un architecte de se placer dans une situation de « juge et partie ». Cette règle s’entend comme une interdiction pour un architecte de « s’auto-contrôler » ou de porter un jugement sur son propre travail. Or, l’architecte qui instruirait une demande qu’il aurait lui-même élaborée se placerait nécessairement dans une situation de « juge et partie » puisqu’il exercerait un contrôle sur une demande (position de juge) qu’il a formulé en qualité d’intéressé (position de partie).

  • L’interdiction des « conflits d’intérêts »

L’article 13 du code de déontologie pose une seconde interdiction pour les architectes : l’interdiction des conflits d’intérêts. Transposé à la situation qui nous intéresse, c’est-à-dire l’architecte élu en charge de l’urbanisme qui instruirait les autorisations d’urbanisme de sa commune, la lecture de cet article permet de constater que l’existence d’intérêts privés (l’obtention d’une demande permis de construire pour le compte d’un client par exemple) peut influencer le jugement de l’architecte élu puisqu’il a, de par la signature d’un contrat d’architecte avec son client, un intérêt professionnel, commercial ou financier à obtenir cette autorisation. A l’inverse, il pourrait également avoir un intérêt électoral à refuser une demande de permis de construire, préférant ainsi un intérêt personnel à celui de son client. Dans les deux cas, son jugement et sa loyauté envers son client pourraient être influencés par des intérêts privés.

  • L’architecte maire ou président d’une intercommunalité (EPCI) et le respect du code de déontologie

Le risque de se retrouver en situation de « juge et partie » ou de « conflit d’intérêts » est encore plus présent si l’architecte est élu maire ou président d’un EPCI dans la mesure où les autorisations d’urbanisme sont délivrées par arrêté du maire (ou du président de l’EPCI) et signé de sa main. Il est donc l’autorité compétente pour octroyer ou refuser une demande d’urbanisme.

L’architecte maire (ou président d’un EPCI) qui signerait un arrêté accordant un permis de construire à un pétitionnaire alors qu’il intervient sur ce projet en qualité d’architecte s’expose à une sanction disciplinaire pour position de juge et partie et conflit d’intérêts.

NB : Les sanctions disciplinaires que peuvent prononcer les chambres de discipline sont les suivantes : avertissement, blâme, suspension temporaire (pour une durée de 3 mois à 3 ans) ou radiation du Tableau de l'Ordre. Il est à noter que le préfet, en charge du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, peut de lui-même « déposer plainte » devant la chambre de discipline et se dispenser d’un vote du conseil régional de l’Ordre (l’article 27 de la loi sur l’architecture).

Sur le plan pénal, la Cour de cassation a reconnu coupable « d’ingérence » (ex délit de prise illégale d’intérêts) un architecte également adjoint délégué à l’urbanisme pour avoir signé les avis du maire dans quatre dossiers de demande de permis de construire alors qu'il était l'architecte, auteur des projets produits à l'appui de ces demandes (Cass.crim. 18 juin 1996, req. n°95-82.759).

  • L’architecte élu ayant pris part à une délibération du conseil municipal

Le conseil municipal peut être amené à délibérer sur une demande de permis de construire élaborée par un architecte membre du conseil. Comment gérer cette situation au regard de la validité de la délibération du conseil municipal ? Existe-t-il un risque pénal ? 

L’article L.2131-11 du code général des collectivités territoriales pose la présomption suivante : « Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire. »

Dès lors, doit-on considérer que cet article a une portée générale et qu’il vise toutes les situations y compris celle d’un conseiller municipal qui aurait simplement assisté au débat, sans prendre part au vote ?

Non, la jurisprudence administrative considère que la simple présence d’un conseiller municipal ne suffit pas à remettre en cause la légalité de la délibération du conseil. Le juge vérifie si la participation de l’élu est de nature à lui permettre d’exercer une influence sur le résultat du vote (voir la question au gouvernement).

Si le juge administratif fait preuve de pragmatisme dans l’analyse du contexte ayant abouti à la délibération, le juge pénal aura une vision beaucoup plus restrictive des choses. Il n’examinera pas la légalité de la délibération mais l’existence des éléments matériel et moral d’une éventuelle prise illégale d’intérêts.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé le 9 février 2011 que « la participation, serait-elle exclusive de tout vote, d’un conseiller d’une collectivité territoriale à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration à l’opération au sens de l’article 432-12 du code pénal » (Cass.crim, 9 février 2011, req. n°10-82988). Il convient donc d’être extrêmement prudent !

En résumé, l’activité professionnelle de l’architecte élu d’une collectivité territoriale est impactée de manière substantielle pendant toute la durée de son mandat. Pour éviter tout risque pénal ou disciplinaire, il veillera à exercer sa profession en dehors du territoire communal ou communautaire.

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Commentaires

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Avec les scandales des dernières élections que l'on connait, cet article a vraiment le mérite d'être claire. En effet être un architecte maire peut vite devenir très compliqué car la frontière entre les fonctions municipales et d'architecte sont très minces en matière de prise d'intérêt. L'exercice de la fonction d'architecte doit se faire dans un cadre qui n'a aucun rapport avec les travaux publics ou appels d'offres public émanant de la municipalité. En prenant l'exemple de la construction de nouvelles habitation avec des cheminées, l'architecte maire ne pourra ni de près ni de loin participer à l'exécution du contrat. Ceci est aussi valable pour les délibération ou attribution de permis de construire. En somme la prudence est de mise lorsqu'on veut cumuler à la fois sa fonction d'architecte et de maire.