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Repenser collectivement « l’habiter en centre-ville » ? Le défi du programme Action Cœur de Ville

Par Lola DAVIDSON, Chargée de mission et Vera LIZARZABURU, Directrice du programme Action Cœur de Ville / Action Logement Services - Le programme national « Action Cœur de Ville » lancé par l’État inscrit les communes éligibles dans des projets ambitieux de revitalisation de leur centre-ville. Au travers de ce programme, Action Logement s’investit dans la lutte contre les fractures territoriales et agit en faveur de la confortation du lien emploi/logement, sa mission première, au service des dynamiques économiques des territoires.
Mis à jour le
29 avril 2024
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Le programme national « Action Cœur de Ville » lancé par l’État en 2018 a vocation à inscrire les communes éligibles dans des projets ambitieux de revitalisation de leur centre-ville. Au travers de ce programme, Action Logement s’investit dans la lutte contre les fractures territoriales et agit en faveur de la confortation du lien emploi/logement, sa mission première, au service des dynamiques économiques des territoires. C’est dans cet objectif volontariste qu’a été développé le produit de financement ACV donnant aux acteurs locaux les moyens de penser avec ambition et audace l’adaptation du bâti ancien aux conditions de vie du XXIe siècle.

Répondre à la problématique de revitalisation des centres-villes

Les communes éligibles ont bien compris que ce financement, visant à accompagner leur stratégie en matière d’attractivité résidentielle, leur offre un nouvel outil puissant pour susciter de l’investissement local dans leur centre-ville et assurer ainsi la préservation du patrimoine dans les meilleures conditions. Ce financement est destiné à équilibrer ces opérations de centres-villes par nature complexes à boucler. Coût du foncier, état du bâti d’origine, contraintes de chantier, sont autant de variables techniques qui rendent ces opérations incertaines. Leur concrétisation est permise grâce à un couple prêt/subvention pouvant aller jusqu’à 1 000 €/m² de surface habitable. La part de subvention allouée à chaque opération est variable, déterminée en fonction de l’équilibre intrinsèque de chaque opération. 

Ce financement doit permettre aux opérateurs de penser avec ambition, en lien étroit avec la collectivité, la requalification du patrimoine de centre-ville : introduction d’aménités type terrasses, loggias, stationnement, services et espaces verts communs qui viennent renchérir le prix de revient mais aussi renforcer l’attractivité des logements produits.

En outre, ce financement nouveau destiné tant à des opérateurs du parc social et intermédiaire qu’à des investisseurs privés permet de couvrir une large palette d’intervention pour répondre aux besoins spécifiques des territoires et des salariés : accession sociale, habitat privé conventionné et libre, logement agréé social et intermédiaire.

Enfin, il permet de concevoir des réponses à diverses problématiques urbaines : traitement d’immeubles patrimoniaux à réhabiliter, transformation de locaux d’activité ou de bureaux en logements, démolition d’immeuble et reconstruction.

Une ambition et une exigence de qualité portée aux côtés des acteurs de la construction, de l’architecture et de l’urbanisme

L’intervention d’Action Logement repose sur la volonté de partager avec les acteurs locaux un projet commun aussi exigeant qu’audacieux dans le traitement du bâti ancien de centre-ville afin de faire émerger des propositions d’habitat répondant aux aspirations, besoins et trajectoires de vie des individus et des ménages, et en première ligne les salariés du bassin d’emploi.

Cet engagement sans précédent d’Action Logement permet d’engager les opérateurs dans une approche plus globale du financement de programmes de logements, en s’intéressant, au-delà de l’équilibre des opérations, à leur intégration urbaine mais aussi à leur contribution au projet de ville, à leur qualité architecturale et à l’habitabilité des logements produits. Il s’agit enfin de susciter une demande de « vie en centre-ville », très souvent peu exprimée sur ces secteurs détendus et ajustée aux attentes de la société actuelle (types de logements, qualité y compris en matière de consommation énergétique, services) en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux, notamment la limitation de l’artificialisation des sols et l’accès aux services.

C’est ainsi, qu’à l’instar de la dimension hautement partenariale du programme national Action Cœur de Ville, des événements et groupes de travail ainsi que des comités techniques de revue de projet ont localement vu le jour pour mettre autour de la table les acteurs de la fabrication de la ville et du logement : chefs de projet des villes ACV, Ordre des architectes, Ordre des géomètres-experts, architectes des bâtiments de France, CAUE, bailleurs, Anah, Action Logement, etc. Ces espaces de discussion ont vocation à permettre l’échange sur les opérations en cours de définition et, cela, le plus en amont possible dans une démarche constructive et collaborative.

Des réalisations concrètes

Depuis le début du programme, plus de trois cents dossiers de financement ont déjà été instruits. Ils correspondent à des programmes aussi divers que complexes d’un point de vue technique et financier.

La difficulté résulte souvent de l’intervention sur un bâti ancien : les contraintes et enjeux de conservation du patrimoine s’alliant à l’impératif de proposer des conceptions d’espaces intérieurs attractives et adaptées à la demande locale d’aujourd’hui et de demain autant qu’à la nécessité d’améliorer la qualité thermique et acoustique du bâti.

Quelques exemples emblématiques montrent l’effet levier de ce travail collectif.

Premièrement, la réhabilitation d’un bâtiment accueillant anciennement une chaîne de restauration rapide[1] dans l’une des principales rues commerçantes de Beauvais posait la question de l’alignement sur la rue. La nouvelle façade propose un alignement avec les bâtiments mitoyens tandis que les nouveaux balcons rappellent l’ancien débord de 1,7m sur la rue. Ces prolongations de la façade se trouvent aussi côté cour afin de donner un espace extérieur à chaque logement.

La parcelle de 8,37m x 47m posait par ailleurs la question du traitement de sa profondeur. Pour y remédier, la construction d’un bâtiment en fond de parcelle permet de dégager une cour en milieu d’îlot et un jardin en R+1 alors que le rdc est occupé d’une part par un commerce et d’autre part par des stationnements.  Grâce à un palier communiquant, le fond de parcelle a été rendu accessible en évitant la construction d’un nouvel ascenseur. Le résultat de l’opération atteint ainsi les objectifs de densification en plein cœur de ville en évitant les surcouts. La réalisation du programme de logements se traduit donc par des logements spatiaux et qualitatifs ayant un accès extérieur malgré les contraintes du site. 

Ce sont au total 18 logements (11 en construction neuve et 7 en acquisition amélioration, 6 T2, 10 T3 et 2 T4), qui seront construits, grâce au financement d’Action Logement et notamment de son apport en subvention (financement prêt + subvention sur travaux de 1500€/m2 SHAB), pour équilibrer cette opération coûteuse (prix de revient TTC prévisionnel des travaux (hors commerce) de 3 275€/m2 SHAB).

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État existant + État projeté opération rue Carnot, Beauvais. (© aLEAdoscope Architecture)


Deuxièmement, l’opération sur la rue Raymond Audour à Angoulême[2] témoigne de la diversité des interventions possibles en centre-ville. L’ensemble foncier était composé de 3 volumes bâtis et d’un vide construit par escalier intérieur permettant la distribution de l’ensemble des étages des 3 bâtiments. L’échange avec l’Architecte des Bâtiments de France, sur la lecture du bâti investit, a permis de restituer, à travers le projet, la structure originelle des 3 bâtiments, initialement réunis par une cour arrière commune (le vide construit), et aujourd’hui construite d’un escalier intérieur. A ce programme de 10 logements du T1 au T5, s’ajoute une nouvelle chaufferie, un espace de coworking et un local vélo pour totaliser plus de 855 m² rénovés. 

La qualité du projet réside à la fois dans la restitution de la forme architecturale initiale, et la libération d’une cour arrière de toute construction, permettant un éclairage et une ventilation naturelle des logements. Chaque logement est donc contenu dans un seul et même bâtiment, desservi par un ascenseur, ou l’escalier extérieur installé dans la cour commune.

Aussi, la qualité et le bon état des façades induisait de conserver et préserver le style architectural patrimonial existant en proposant un remplacement simple et une restitution à l’identique de l’ensemble des menuiseries bois, et un travail de devanture commerciale dans le respect du style du centre-ville.

L’ajout de l’ascenseur, contrainte imposée par la maitrise d’ouvrage (Noalis), pour offrir une qualité de confort des logements, permet aussi de répondre à la contrainte règlementaire de l’accessibilité PMR. Le remplacement de l’ensemble des planchers bois, pour obtenir une mise à niveau de tous les étages des bâtiments était aussi induit par la nécessité de répondre à la qualité de confort acoustique entre logements, ce que les structures des planchers bois d’origine ne permettaient pas sans grands coups de renforts structurels et d’isolations acoustiques.

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Etat existant / état projeté
(© Kevin Imbourg-Bois - Architecte)

Etat existant / état projeté (extérieur et intérieur) © Kevin Imbourg-Bois - Architecte

 

Grâce à l’installation du chauffage central ainsi qu’à la pose d’une isolation par l’intérieur, le bâtiment fait un gain énergétique de 163kWhep/m².an, passant d’une étiquette E à une étiquette B. 

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Le nouveau rez-de-chaussée dédié au commerce tient également compte des coloris et dispositions des ouvertures qui s’intègrent à l’architecture du centre-ville. Concernant les matériaux, le choix des plaques de plâtre Fermacell permet d’intégrer une dimension environnementale par l’utilisation de matériaux à faible impact écologique.

Cette coordination a induit des études plus longues et un surcoût de la réhabilitation mais une qualité plus importante du projet en résulte.

Le cout du projet est aujourd’hui de 1 217 000€ HT. Là encore les financements dédiés à Action Cœur de Ville permettent d’accompagner ces projets en intégrant ce type de contraintes pour équilibrer les opérations.

 

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Coupe de l’opération
© Kevin Imbourg-Bois - Architecte

Coupe de l’opération © Kevin Imbourg-Bois - Architecte

Ainsi, grâce à un dialogue en amont entre la maitrise d’ouvrage, son maitre d’œuvre et l’Architecte des Bâtiments de France, les préconisations de l’ABF peuvent être discutées afin de trouver des orientations convergentes entre les parties prenantes et être intégrées dès la phase de conception afin de minimiser l’incidence sur le prix des opérations. Ces exemples montrent aussi l’importance d’intégrer l’ensemble du projet (y compris les usages de rez-de-chaussée) pour allier qualité architecturale et qualité d’usage des produits de sortie.

ACV comme démonstrateur pour repenser collectivement « l’habiter en centre-ville » ?

A mi-parcours, les premiers enseignements sont déjà plus que positifs. Avec la mobilisation de bientôt un tiers des fonds d’Action Logement alloués au programme, la nette accélération de sa mise en œuvre est désormais constatée. Les villes éligibles et l’ensemble des acteurs de la chaine de production du logement se sont en effet approprié la logique d'intervention et de financement spécifiquement mis en place dans le cadre de son intervention au Programme national Action Cœur de Ville.

Pour Action Logement, cette logique d’intervention nouvelle a permis de positionner son réseau territorial en amont dans la définition et la conception des projets immobiliers financés et non plus au seul bouclage financier de l’opération. Ce faisant, le soutien d’Action Logement permet la concrétisation d’opérations particulièrement complexes avec un calibrage fin de ses aides mobilisables en prêt et en subvention. Mais surtout, une association précoce des concepteurs et des financeurs assure la bonne adéquation entre produits développés (typologies, configuration, niveaux de loyers, etc.) et les attentes connues des salariés des entreprises locales tout en apportant une réponse concrète aux potentielles difficultés de recrutement de ces dernières en lien avec l’offre de logement existante.

Cette implication volontariste du réseau d’Action Logement doit en effet contribuer au retour de ménages d’actifs dans les centres des villes moyennes. Elle témoigne de la capacité du groupe Action Logement à créer d'autres logiques d'intervention pour permettre l’émergence d’un habitat et d’une dynamique locale qui favoriseront le développement économique de ces secteurs, motivation première de son intervention sur ces territoires détendus au service du lien emploi/logement.

Enfin, cette politique publique multithématiques et multi acteurs appelle les acteurs locaux à se saisir des enjeux du mode d’habiter demain dans un tissu urbain existant et à choisir ensemble le processus d’élaboration et de construction de ces nouveaux produits. Aux opérateurs, experts de la construction et de la réhabilitation, maitrises d’ouvrages et maitrises d’œuvre, collectivités et financeurs, garants de l’intérêt général et porteurs d’intérêts particuliers de trouver de nouveaux modes de conception collaborative dans lesquelles chacun trouve sa juste place. Ces nouveaux modes opératoires qui démontrent aujourd’hui leur pertinence dans la production de la ville sur elle-même pourront demain être déclinés sur de nouvelles problématiques et d’autres territoires.

 

Lola DAVIDSON, Chargée de mission Action Cœur de Ville - Action Logement Services
Vera LIZARZABURU, Directrice du programme Action Cœur de Ville - Action Logement Services

 

Le dispositif Action Cœur de Ville d’Action Logement

  • Intégration des orientations stratégiques de la collectivité permettant de répondre aux enjeux de réhabilitation en centre-ville et à l’adaptation de la ville ancienne à de nouveaux usages ;
  • Valorisation de la qualité architecturale à travers la conservation du caractère historique et matériel du bâti des centres-villes. Le programme encourage également les interventions d’extension et reconstruction qui portent une réflexion sur le rapport entre le bâti existant et la construction neuve ;
  • Concourir à la production d’une offre de logement nouvelle en locatif social et intermédiaire, privé, libre ou accession sociale ayant vocation à loger des salariés et participer ainsi au développement économique du bassin de vie des villes moyennes ;
  • Un financement travaux jusqu’à 1 000€/m² de SH composé d’un mix prêt/subvention pour produire une offre qualitative et attractive

Tous les détails sur le site d’Action Logement.

 

[1] MOA : Clesence, MOE : aLEAdoscope Architecture

[2] MOA : Noalis,
MOE : Kevin Imbourg-Bois - Architecte DPLG Mandataire / Laurent MORELET - Economiste de la Construction / ABCIIS - BET Structure / EFFICIO - BET Fluides

 

## Mots-clés pour rechercher dans le Livre blanc :
Urbanisme | Aménagement | Territoires | Métropoles | Ville |  Coeur de ville | Centres bourgs | Participation | Patrimoine Revalorisation |

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